Présentation de livres sur le cinéma japonais

Par Florent (11/2002)

 

A] Les livres d'Histoire du Cinéma Japonais

Si les études de référence sur ce cinéma proviennent surtout du monde anglo-saxon (notamment de Donald Richie, encyclopédie vivante sur le sujet ; mais une encyclopédie du Roman Porno est disponible outre-atlantique ainsi que dans un futur proche l'Encyclopédie du Film de Yakuza de Chris D., programmateur de la cinémathèque américaine), il reste que le livre de Max Teissier ainsi que la traduction de l'imposante somme de Sato Tadao sont de bons moyens de découvrir l'histoire de ce cinéma et de le défricher au-delà de ses grands noms.

1) Donald Richie, A Hundred Years of Japanese Film, éditions Kodansha, 30$

Un livre en anglais qui représente un très bon compromis pour connaître en profondeur le cinéma japonais sans trop investir budgétairement. Il est écrit par Donald Richie, la référence américaine sur le sujet : il arrive en 1947 au Japon comme journaliste pour Pacific Stars and Stripes puis commence à chroniquer des films pour ce journal. En 1959, son livre The Japanese Film : Art and Industry est un des facteurs majeurs de l'intérêt outre atlantique pour le cinéma japonais (Paul Schrader, scénariste de Taxi Driver mais aussi de Yakuza, le décrit comme un choc dans son excellente préface). Donald Richie passera les décennies suivantes à non pas actualiser mais réinventer sa vision du cinéma japonais : Japanese Cinema : Film Style and National Character (1971) décrit la lutte des cinéastes pour préserver l'identité japonaise dans un art occidental. Japanese Cinema : An Introduction (1990) se concentre sur les conditions de production dans le cinéma japonais. Ses livres sur Ozu et Kurosawa sont également des références en la matière.

L'approche de Richie est très différente de celle de la cinéphilie européenne fondée sur le cinéaste/artiste/auteur. Ici, il montre comment les conditions de tournage peuvent engendrer certains choix esthétiques (même si le cinéaste est conscient de leur portée culturelle). Même si elle est contestable, sa méthode qui consiste à essayer de voir la communauté d'esthétique et de choix de mise en scène du cinéma japonais du muet à nos jours a l'avantage de permettre de mettre en évidence les codes esthétiques et narratifs de cette cinématographie. Le livre raconte l'histoire du cinéma japonais du muet à nos jours (y sont d'ailleurs évoqués sans condescendance Harada, Iwai, Tsukamoto et le nouveau cinéma d'auteur ainsi que l'Anime, preuve que Richie ne prend pas une pose nostalgique malgré son age). Pour chaque période artistique, les réalisations de cinéastes marquants sont commentées de façon exhaustive ce qui permet de replacer les films visibles en Occident dans une œuvre globale.


Des Kurosawa moins connus (Ceux qui marchent sur la Queue du Tigre) y auront droit à autant de commentaire que Ran. Celui qui recherche des renseignements sur les valeurs sures (Kurosawa, Mizoguchi, Naruse, Ozu, Kobayashi) comme sur des cinéastes moins connus (Gosha, Suzuki, Inagaki, Fukasaku, Itami entre autres) y trouvera son compte.


Outre de très attendus récapitulatifs des périodes historiques du Japon, bibliographies du cinéma japonais et un glossaire, la très bonne idée du livre est de récapituler les films japonais marquants d'hier et d'aujourd'hui disponibles en dvd zone 1 et vhs ntsc américaines et japonaises (avec l'indication de présence ou pas de sous-titres anglais) accompagnés d'un petit commentaire sur les films ainsi que la liste de sites internets permettant d'acheter des imports japonais. Une très bonne idée vu la difficulté d'accès de ce cinéma hors ses auteurs consacrés. Une des qualités de l'approche américaine du cinéma japonais reflétée par ce livre est qu'elle rend compte de ce cinéma de façon assez exhaustive (sauf pour le roman porno qui est survolé de même que les années 70) contrairement à la politique des auteurs française qui sacralisa certains très grands au détriment de cinéastes de talent.

2) Le Cinéma Japonais, Une Introduction ; Max Teissier, collection cinéma 128, Nathan Université.50ff

L'intérêt principal de ce livre est de permettre aux anglophobes de survoler l'histoire du cinéma japonais rapidement et à prix modique. Le livre contient outre cette histoire, une frise historique du Japon avec en parallèle les films marquants de chaque période, un lexique du cinéma japonais, le nom des principaux studios, les statistiques des entrées totales jusqu'en 1996, une bibliographie et une discographie du cinéma japonais, la liste des principales œuvres sorties en VHS en France. Par contre, il ne s'agit pas vraiment d'un bon livre de conseil de films à voir : son auteur semble nostalgique de l'age d'or des années 50, ce qui le conduit à minorer certaines œuvres marquantes des décennies suivantes. Ainsi, il fait assez peu cas d'un Onibaba, considère Rebellion mineur par rapport à Hara Kiri, trouve Kwaidan glacial, trouve que dans Combat sans Code d'Honneur le scénario passe au second plan, compare Tsukamoto à Luc Besson et ne consacre que quelques lignes à Kitano même s'il l'apprécie. Certes, son auteur a beaucoup fait pour la reconnaissance du cinéma japonais en France et ses points de vue sont argumentés mais si on les suit à la lettre on risque de passer à coté de claques potentielles. De ce dernier point de vue, le bouquin de Richie (sans parler de celui de Sato Tadao) est plus intéressant.

3) Le Cinéma Japonais tome 1 et 2, Sato Tadao, collection centre Georges Pompidou, 180ff chaque tome

Traduit à l'occasion de la rétrospective cinéma japonais du centre Georges Pompidou, ce livre un peu plus coûteux est long et exhaustif. Tadao Sato est un des grands spécialistes du cinéma japonais. Son livre a fait date car il s'agissait du premier véritable panorama de ce cinéma et a obtenu en 1995 le Prix du Ministère de l'Education. Son auteur fut président du Pen Club du cinéma japonais entre 1969 et 1992 et est désormais directeur de l'Ecole japonaise de cinéma. Le livre offre un regard détaillé sur l'histoire de ce cinéma, son contexte politique et économique et jusqu'aux années 80 étudie son évolution studio par studio et genre par genre. Si la démarche est un peu plus scolaire que chez Richie, elle a le mérite d'offrir une Bible sur le sujet, une quasi-encyclopédie consultable par le cinéphile. Et elle offre de vrais articles sur un mouvement assez négligé par Richie et Teissier qu'est le roman porno ainsi que sur les années 70 passées un peu en accéléré par Richie. Le livre est rehaussé de très belles photos illustratives en noir et blanc tirées de films marquants. Il propose en outre un lexique du cinéma japonais et des filmographies jusqu'en 1997 de cinéastes phares (aussi bien les géants mondialement reconnus que Miyazaki, Kitano, Itami ou la pléthorique filmographie d'un Fukasaku).

Parmi les points pratiques, on trouve un index des titres français et des titres japonais des films cités. Le livre s'achève sur une postface écrite en 1997 et évoquant une situation paradoxale : alors que l'industrie du cinéma japonais est en crise, que les salles de cinéma évitent le dépôt de bilan grâce au succès de l'Anime et que les films de qualité à succès se font denrée rare, les auteurs japonais réussissent à se démener pour trouver des financements pour leurs projets, réaliser des films de qualité parfois auréolés de récompenses festivalières (le Japon primé à Cannes et Venise cette année-là) et trouver des salles pour les diffuser. Tadao Sato finit par cet hommage à la hargne de ces cinéastes qui ne sont qu'une goutte d'eau dans l'océan mais font la vitalité de ce cinéma.


4) Contemporary Japanese Film, Mark Schilling, éditions Weatherhill, 25 £

Une mine d'informations pour qui s'intéresse aux évolutions récentes de l'industrie cinématographique japonaise et aux talents apparus durant les années 90. Y sont évoqués comment le cinéma japonais a essayé de faire face à l'invasion hollywoodienne des années 80, l'explosion de la scène indépendante, l'importance croissante du thème de l'immigration dans le cinéma japonais des années 90. Une série d'articles et d'interviews d'époque permettent de replacer les vétérans comme les révélations dans le contexte de l'époque où leurs films sont sortis : on y découvre un Kurosawa furieux des accusations d'antiaméricanisme de la critique anglo-saxonne à l'égard de Rhapsodie en Août, l'influence du cinéma américain sur Itami Juzo, le désir de réalisme dans la représentation de la violence d'un Kitano ainsi que des révélations nommées Shinozaki, Kawase, Koreeda, Iwai, Ichikawa Jun, Suo Masayuki ou le producteur indépendant Sento Takenori. 256 pages de critiques permettront au cinéphile de retrouver les films qu'il connaît comme de découvrir des films de Suwa, Ayoama, Itami, Ichikawa ou Okamoto qu'il ne connaissait pas. Le livre est un beau témoignage de la richesse d'un cinéma qui ne se limite pas aux films récemment remarqués par la critique occidentale dans les festivals majeurs parce qu'évocateurs du cinéma japonais de l'age d'or des années 50. Vivement recommandé à ceux qui veulent en savoir plus sur l'évolution récente de ce cinéma.

 

B] Les livres sur les cinéastes :

1) Takeshi Kitano, Rencontres du septième Art, éditions arléa, 85ff.

Un livre aussi vite lu que passionnant. Si la préface de l'excellent critique Michel Boujut offre une analyse correcte du cinéma de Kitano, elle ne nous apprend rien que l'on ne sache déjà sur le style et les thèmes de Kitano. Par contre, les entretiens de Kitano sont passionnants. Lors de son entretien avec Kurosawa Akira, Kitano et l'Empereur échangent leurs points de vue sur le Kurosawa favori de Kitano, Madadayo, ce qui permet au géant Akira d'offrir des anecdotes sur la façon de diriger ses acteurs, ses difficultés à imposer ses vues esthétiques à la Toho à ses débuts. Lors de l'entretien avec Imamura, Kitano dit ne pas savoir comment filmer la sexualité et admire Imamura de savoir filmer l'acte de façon brute comme un combat. Imamura parle de la façon qu'il a d'envisager les tournages et se retrouve en accord avec Kitano lorsqu'il dit qu'une grande liberté dans la direction d'acteurs déstabilise ces derniers tout en leur permettant d'obtenir ce qu'ils veulent. Lors de l'entretien avec Kassovitz, Kitano esquisse des parallèles entre sa vision de la violence et celle de Kassovitz dans Assassins. Enfin, l'entretien avec le critique Hasumi Shugehiko est plutôt centré sur Hana Bi, sur l'évolution de la notion de mouvement chez Kitano, sur l'utilisation de la peinture pour éviter la banalité de certaines scènes. Les entretiens offrent également des anecdotes cocasses sur les tournages kitaniens entre autres le tournage d'une scène de Sonatine près d'un bureau où se trouvaient de vrais yakusa en sang qui croyaient voir venir une expédition punitive lors de l'arrivée des acteurs du film. Une mine de renseignements recommandée à ceux qui aiment Kitano et les cinéastes cités plus haut.

2) Kurosawa, Hubert Niogret, éditions Rivages Cinéma, 75ff.

Hubert Niogret n'est pas que celui qui supervise excellemment les suppléments des dvd de films asiatiques sortis chez TF1vidéo. Il est aussi critique pour la revue Positif qui fut une des premières en France à défendre les films de Kurosawa. Alors qu'il est souvent d'usage de se placer sur un point de vue général et d'analyser un cinéaste en tant qu'auteur, Niogret choisit ici d'analyser avec minutie -parfois plan par plan avec des illustrations à l'appui- l'apport de l'Empereur en terme de mise en scène : passages oniriques, théâtralité, rapport des personnages à la lumière et à l'obscurité, le rôle des éléments naturels, la fluidité du montage, la question de l'espace dans son cinéma, la symbolique particulière du chiffre 3, l'évolution de son cinéma vers la simplicité des moyens employés. On a enfin pour chaque film les durées des différentes versions, le classement critique de l'époque dans Kinema Jumpo, une courte présentation et un petit commentaire de Kurosawa sur le film. Le livre contient aussi sa filmographie en tant que scénariste et une liste de ses projets avortés.

3) Shiguheko Hasumi, Yasujiro Ozu, collection Cahiers du cinema, 150ff

L'ambition du livre est de démolir des clichés sur Ozu créés par des études de référence (notamment celles des talentueux Donald Richie et Paul Schrader contre lesquelles l'auteur se positionne) qui définissaient son cinéma au travers de sa dernière période, c'est à dire la contemplation, l'ellipse et le coté typiquement japonais de son cinéma et d'insister sur ce que son cinéma comporte d'intense. Pour ce faire, il va examiner le rôle fort que peut avoir la nourriture chez le cinéaste, les symboliques du vêtement dans son œuvre, l'importance d'éléments d'un appartement tels que l'escalier, de l'immobilisme de la caméra défini de façon positive et non comme un refus du mouvement et enfin de la symbolique des saisons. Le tout est copieusement illustré de photos de films d'Ozu appartenant à toutes ses périodes cinématographiques. L'intérêt du livre est de montrer que le mouvement n'a pas toujours été absent chez Ozu et surtout que son œuvre ne se limite pas à des chroniques familiales mais a aussi abordé des genres tels que le polar ou le cinéma social : le mérite du livre est alors d'élaborer un discours cohérent concernant toute l'œuvre du cinéaste. Qui plus est, les références aux débuts d'Ozu permettent à l'auteur de montrer que son cinéma entretenait alors des liens forts avec ce que faisaient Ford, Lang, Renoir ou Walsh, remarque qui se justifie par le fait que la cinéphilie d'Ozu s'est construite au contact du cinéma occidental. Le livre est donc à lire pour qui veut aller au-delà des idées reçues entretenues par la critique concernant non seulement Ozu mais le cinéma japonais dans son ensemble.

 



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