Arno Ching-wan | 2.5 | Ô mère d alors |
Ordell Robbie | 3.5 | Débute brillamment mais sans surprises avant d'emporter le morceau sur la fin. |
Xavier Chanoine | 4.25 | Variété de tons une fois de plus grandiose |
Ce qui est vachement bien avec Bong Joon-Ho c’est cette régularité tranquille, ce culot monstre qui parsème l’ensemble de ses films et ce même depuis ses débuts, des thématiques diverses et variées abordées au sein d’un même film (Memories of Murder avait lancé la mode des polars coréens critiquant le système), et cette passion pour le cinéma tout court. Pour faire simple, on remplace les flics poissards de Memories of Murder par une mère, et l’on obtient des plus naturellement Mother. Le cinéma de Bong Joon-Ho, pourrait donc être aussi limpide et efficace qu’un nom commun, une mère. Il est ici question d’une mère, donc, et d’un fils, Do-Joon. Rien de bien compliqué. Mais lorsque ce dernier, un peu simplet, est suspecté de meurtre, l’affaire prend une toute autre tournure : alors qu’il terminait de se saouler au bar Manhattan, dans l’attente de pouvoir tirer son premier coup, voilà qu’une écolière en jupe traine dans les environs. Rentre-t-elle chez elle ? Essaie-t-elle de fuir quelque chose, quelqu’un ? Les réponses viendront plus tard, au fur et à mesure que le film lâche ses cartes par petites touches savamment orchestrées par un grand cinéaste. Do-Joon la suit tout naturellement, amateur de mollets blancs, il est comme attiré par cette jeune-fille. Après quelques mètres, la jeune fille disparait au détour d’une rue sombre, repousse le garçon avec une pierre (et accessoirement, un gag digne de Tex Avery), il fait marche arrière, écran noir. Le lendemain, la fille est retrouvée morte, perchée sur une rambarde au dessus d’un toit dominant l’ensemble du village. Pourquoi exposer un mort à tout le monde alors qu’une autre manière, un enterrement, aurait été plus rusé ? A côté d’elle, une balle de golf marquée du nom de Do-Joon, récupérée la veille par ce dernier et son ami après avoir réglé quelques comptes avec une famille de bourgeois qui ont manqué d’écraser le simplet et son cabot. Evident ou non, il est donc immédiatement arrêté par la police, sous les yeux effarés de sa mère, alors bien décidée à prouver son innocence par tous les moyens, jusqu’à aller soupçonner le meilleur ami de Do-Joon.
Le ton est donné dès la découverte du corps : les flics n’en ont rien à faire, perdent du temps, se posent des questions comme l’inspecteur Derrick, une référence en la matière. Je déconne. Résultat, le mieux serait de trouver le coupable parfait, surtout pas bien aidé par sa balle de golf retrouvée près du corps, l’embrouiller avec des techniques de flics bien rodées (le coup de la pomme, autre gag), lui faire signer un papier attestant de sa culpabilité, et le tour est joué. On retrouve donc de nouveau cette critique acerbe du milieu, aussi bien sur le terrain que dans les bureaux, l’entourage profite d’ailleurs également de ce traitement de choix avec un portrait d’avocat véreux préférant se saouler avec deux trois escort-girls dans un établissement de karaoké plutôt que d’aider son client. Face à une difficulté qu’il juge insurmontable, il préfèrera abandonner l’affaire et conseiller à la mère de l’interner : il en aura pour quatre ans, qu’est-ce que c’est quatre ans ? Une période espaçant deux coupes du monde de foot, comme précisé au-travers d’un clin d’œil au parcours phénoménal de la Corée du sud en 2002 (The Host montrait de son côté un extrait de la coupe du monde 2006, grand fan de foot le Bong ?), et occasionnellement faisant office d’un autre gag tranchant radicalement avec la détresse affichée de la mère, inondant pourtant le film : la peur de voir son fils incarcéré se lit sur son visage, se devine au travers d’un regard perturbé, déterminé. La bonne femme est d’ailleurs plus ou moins à côté de la plaque, notamment lorsqu’elle décide d’aller fouiller en toute illégalité le repère du meilleur ami de Do-Joon, un type tout de même douteux. La séquence, climax au suspense affolant (comment couper le souffle du spectateur avec un jeu autour d’une bouteille d’eau renversée ?) pose les bases du film, annonce gentiment que si l’on rigole vraiment dans Mother, notamment lors d’une première demi-heure façon farce, c’est pour mieux être pris de revers par la suite, la claque n’en sera que plus grande ou douloureuse, c’est au choix.
Car c’est à peu près clair, Mother n’est pas le gros mélodrame pressenti lors des premiers jets accompagnant sa promo. Vrai film de cinéma, on le sait déjà, avec une mise-en-scène alignant les instants de bravoure toutes les dix minutes (gros plans sur des petits détails et sur les visages aux traits volontairement grossis, façon western guignol, distance, plans-séquence, sens du raccord puissant, virtuosité chaotique par l’usage réussi du filmage caméra sur épaule) jusque dans son plan final sidérant, et s’autorise quelques ruptures de ton efficaces. Car autant l’introduction annonce déjà l’entourloupe, dans le genre comédie musicale barrée à la Tsai Ming-Liang, dont on se demande ce qu'elle vient foutre ici, autant la suite représente la synergie parfaite des genres abordés par Bong Joon-Ho depuis ses débuts : la rupture, donc, mais aussi l’audace de mêler au sein d’une même œuvre drame personnel, thriller étouffant, comédie pathétique et clins d’œil par paquets de douze. Autant l’on rigole de la trogne de types douteux, comme les deux étudiants pas très clairs questionnés par la Mère puis passés sauvagement à tabac par un type payé pour, autant l’on a mal pour eux tant la violence est sèche, cartoonesque, jouissive comme pouvait l’être celle d’un Memories of Murder. Cette brutalité, on la retrouve aussi dans le hors-champ par la simple utilisation du son. Jouissif et complet à tous les niveaux.
Enfin, l’histoire en elle-même réserve bien des surprises. D’où la proximité avec Memories of Murder, ce même sens implacable du dispositif narratif, ces fausses pistes donnant raison puis tord à la Mère (ou vise versa) par l’intermédiaire de reconstitutions très personnelles de cette dernière s’improvisant détective privée dans le but de comprendre le meurtre de la jeune fille. Et la force du film est de ne pas juger cette dernière, elle n’est qu’une personne modeste sans gros moyens, pas plus intelligente que la moyenne, ses démarches pour prouver l’innocence de son fils ne relèvent-elles par d’un simple amour aveugle pour ce dernier ? Autant de questions destinées au spectateur, seul acteur à pouvoir donner des réponses en plein cours de projection, le cinéma de Bong Joon-Ho est un cinéma de l’interactivité. C’est aussi un autre exemple de la force des grands auteurs, ceux qui encouragent le spectateur à se poser des questions, à participer à leur manière à l’intrigue du film. Mother est l’occasion idéale d’affirmer cette donne. Bong Joon-Ho aura donc livré avec ce film-ci du cinéma complet, on l’a déjà dit, somme à peu près très convaincante de tout ce qui fait la force de son cinéma depuis Barking Dogs. On pourrait trouver à redire au sujet du personnage de Do-Joon, souvent cantonné à jouer le simplet durant la première heure avant d’être éclipsé par la Mère (superbe Kim Hye-Ja) dans la seconde, mais son importance n’est tout de même pas à négliger. Rien n’est d’ailleurs à négliger dans Mother : un reflet, une photo, un bruit, tout est utile pour l’enquête même si la fausse route est le grand danger. Au spectateur de se perdre lui aussi et de serrer le ventre jusqu’à la dernière seconde du générique. Clairement l’un des films les plus excitants de 2009, et accessoirement le haut du panier du cinoche coréen.