Xavier Chanoine | 3.75 | Un film à voir. |
Marc G. | 3.25 | Japanese ghostbuster |
Ghost Dog | 2.5 | Sympathique sans être transcendant |
El Topo | 2 | Essai non transformé pour Tsukamoto |
Tsukamoto n'est pas un réalisateur que j'apprécie particulièrement. Sa première réalisation, Tetsuo the iron man m'a pour ainsi dire dégoûté du cinéma cyberpunk underground. Filmé n'importe comment, sans véritable logique, Tetsuo faisait office de produit "expérimental" en étalant sur une grosse heure la mutation d'un type quelconque avec des tuyaux dans le cul. Pas chouette et vomitif. Avec Hiruko the Goblin, Tsukamoto change de cap et oublie -en partie- les codes qu'il avait entamé avec Tetsuo. Au revoir le montage explosif et les images quasi subliminales et place au calme et à l'onirisme...du moins en partie car n'oublions pas que Hiruko est avant tout un film d'horreur.
La Shochiku (studio de production des plus grands) propose alors au jeune réalisateur de réaliser un film d'horreur sur les fantômes japonais. Alors qu'il croyait subir les restrictions des studios et ainsi faire un film très calme, très gentil, voilà qu'on lui dit de ne pas lésiner sur les moyens et laisser libre cours à ses folles envies. Tsukamoto ne l'entend pas vraiment de cette oreille et décide de camper sur ses positions; Hiruko s'apparente alors à un vrai film de studio, avec une équipe riche et des moyens tout de même largement supérieurs à Tetsuo. Le voici lancé dans le grand bain. Des lycéens libèrent par malchance un portail maléfique renfermant des fantômes à l'apparence d'araignée. Très vite, l'inquiétude se fait sentir et les adolescents disparaissent à leur tour. Masao, le jeune héro du film, montre quant à lui des signes paranormaux, en effet à chaque victime des fantômes, les visages des défunts s'impriment sur son dos comme l'on marque au fer rouge un animal. Rapidement, il trouvera de l'aide auprès d'un professeur pour tenter de trouver et refermer le portail maléfique. Diffusé sur Canal + il y a quelques années pour un cycle spécial Tsukamoto, Hiruko the Goblin fait partit de ces films rares, que l'on aurait jamais vu sans les efforts de Jean-Pierre Dionnet, distributeur du film dans la collection Asian Star en collaboration avec Studio Canal. En premier lieu, le film rappelle par moment la folie d'un Evil Dead. Le montage est tout aussi serré et incroyablement nerveux, les cadavres abondent, tous la tête coupée laissant échapper des geysers d'hémoglobine et certaines séquences sont pratiquement à l'identique, comme lorsque la caméra au ras du sol représente ce que voit les monstres. Tsukamoto n'hésite pas non plus à user d'effets de mise en scène, ici utilisés à bon escient comme des accélérés, des rotations à 180°, etc.
Les codes du film d'horreur sont respectés, les monstres apparaissent au bout d'un certain temps histoire de faire patienter le spectateur le plus possible et de ne pas trop en dévoiler. A l'origine les araignées sont des fantômes japonais aux innombrables formes, il s'avère qu'ici leur forme s'apparente à d'espèces d'araignées humides avec des têtes humaines, les têtes de leur victime. A ce propos, la "reine" des araignées possède un visage de jeune femme particulièrement angélique et poussant la chansonnette pour attirer ses victimes. Dans la majorité des contes horrifiques et légendes sur les fantômes japonais, les fantômes gentils sont pour la plupart extrêmement affreux et repoussants tandis que les mauvais fantômes s'apparentent à de très belles femmes. Le film secoue alors beaucoup, entraîné par une bande son très variée. Pop des années 90 pour les passages violents, et musique douce à la Hisaishi pour les moments oniriques où Tsukamoto prend le soin de filmer une sublime campagne, riche en verdure et en fleures. Un style qui contraste violemment avec ses manies d'autre fois et sa passion pour le métal et les murs, représentation d'un Tokyo désabusé et ultra urbain. On raconte que l'homme est fan de Tokyo, sa ville de toujours, et qu'il adore la représenter d'une manière chaotique en y filmant métaux, verres et plastiques.
Cependant Hiruko the Goblin n'est pas une oeuvre qui trouvera son public. Hésitant souvent entre comédie burlesque et pur film d'épouvante, on ne sait jamais trop bien où le placer. Parfois délirant et ultra gore, il se contredit immédiatement par une certaine forme de dérision et de grossissement des personnages, non sans rappeler ceux de Tsui Hark. L'aspect épouvantable et purement fantastique laisse place à un gros délire sur fond de légendes japonaises. Le fan hardcore de ce genre de cinéma sera aux anges, mais le newbie n'y trouvera certainement pas son compte. Hiruko the Goblin reste une parfaite mise en bouche pour quiconque aimerait découvrir le cinéma si spécial de Tsukamoto.
Premier film de studio pour le très indépendant Tsukamoto - l’artiste touche-à-tout qui filme, photographie, joue, monte et produit la plupart de ses films - qu’on ne sent pas très à l’aise à la tête de ce projet de long métrage horrifique où des arachnoïdes diaboliques envahissent la Terre et décapitent les humains avant de se greffer leur tête sur leur corps… Hiroku manque en effet d’ampleur (2 personnages principaux un peu perdus) et de moyens (les effets spéciaux sont cheaps), mais aussi de rythme et de rebondissements, ce qui est plus surprenant. On retiendra cependant quelques bonnes idées de mise en scène, ainsi que quelques gags réussis qui montrent que Tsukamoto ne se prend pas vraiment au sérieux : les faiblesses des personnages (naïveté, trouille primitive) sont mises en avant, et les gadgets utilisés par le pseudo-scentifique de service sont carrément grotesques.
Pour le reste, Hiroku se démarque dans la filmo très urbaine de Tsukamoto par sa fraicheur, sa paradoxale insouciance sans doute due au fait que l’intrigue se déroule en pleine campagne japonaise ; les fleurs fleurissent les petits oiseaux chantent et, malgré une menace d’outre-tombe venue perturber le quotidien, il semble y faire plutôt bon vivre. Lors de la scène finale, les 2 héros se séparent d’ailleurs avec la larme à l’œil, comme s’ils venaient de passer des grandes vacances mémorables ! Ce n’est certainement pas son plus grand film, mais il mérite donc bien un petit détour amical.
Hiruko le Gobelin est le deuxième film de texte, réalisé en 1990, soit deux ans après le très remarqué et cyberpunk TETSUO : the Iron Man, son premier long-métrage. Contrairement à toutes ses autres réalisations (exception faite de Gemini ) c’est un film de studio, ce qui signifie que Tsukamoto a dû travailler dans des conditions différentes de celles auxquelles il était habitué (équipe étendue, tournage dans les studios de la Toho…) même si la Shochiku a pris le parti de lui laisser une certaine liberté, dans l’écriture du scénario notamment. D’après Tsukamoto, la trame est librement inspirée d’un manga de Moroboshi Daijiro (intitulé « Ghost Hunter ») mais aussi fortement influencée par une idée de script qu’il aurait eue du temps où, encore étudiant, il réalisait de petits films en 8 mm. L’aspect et la forme des démons dans le film lui seraient donc plus ou moins venus à l’esprit à cette époque, c’est pourquoi il rejette l’idée d’avoir voulu faire un remake à sa sauce ou une parodie de The Thing de John Carpenter, film que l’on rapproche souvent de son Hiruko le Gobelin. C’est particulièrement regrettable puisque le film de Tsukamoto fait pâle figure à côté de celui du réalisateur d’Escape from New York tandis que ce dernier peut se targuer d’avoir insufflé à son film de nombreuses idées novatrices que Tsukamoto ne peut que lui envier. Certes Hiruko le Gobelin n’est pas dénué de quelques menues qualités et il faudrait être de mauvaise foi pour le trouver foncièrement déplaisant, mais ce second essai de l’auteur de Bullet Ballet n’arrive pas à la cheville d’un Tokyo Fist ou un Tetsuo alors qu’il bénéficia d’un budget et de moyens techniques très largement supérieurs.
Ici, point d’enfermement urbain, puisque Tsukamoto le citadin met de côté sa relation amour/haine avec Tokyo pour s’exporter à la campagne dans un lycée entouré de forêts et de prairies. C’est au sein de cet environnement inhabituel qu’il construit un récit très classique qui démarre avec pour point de départ la disparition des premières victimes d’un démon que les proches de ces dernières vont tenter de retrouver. Bien sûr l’enquête se déroule la nuit dans un univers claustrophobe (le lycée abandonné par tous pendant les vacances) et les héros sont mis à mal par leurs craintes, leurs faiblesses, leurs émotions, leur humanité en somme. Suit la découverte du monstre et l’émergence d’une quête elle aussi on ne peut plus classique : il va désormais falloir empêcher la créature maléfique de nuire au plus grand nombre ce qui ne sera pas une sinécure (sinon il n’y aurait pas de quoi en faire un film)… Les ressorts dramatiques sensés faire monter la tension souffrent malheureusement de leur caractère « déjà vu à maintes reprises » (compagnons qui se séparent quand ils ne devraient pas, détecteur d'esprits perdu ou cassé…) et si le film se suit sans ennui, on ne peut pas dire qu’il soit vraiment effrayant ce qui était pourtant son principal office… On passera sur la suite des évènements que tout aficionado de films d’épouvante devinera de toute façon aisément ; pareillement il vaut mieux éviter d’évoquer le final larmoyant qui évoque les pires série B alors qu’on aurait pu attendre de Tsukamoto un minimum de décalage, malgré le fait que son matériau lui fut en partie imposé par le studio. Il est grandement préférable d’aborder d’emblée l’aspect technique, même si c’est peut être là que le bât blesse le plus... Bien sûr on ne reprochera pas au réalisateur les faiblesses de certains trucages qui paraissent à présent pour le moins amateurs, les techniques ont considérablement évoluées depuis et on aurait utilisé aujourd’hui des images de synthèses (qui n’existaient pas au cinéma en 1990) pour l’animation des démons. Non, ce qui est regrettable, c’est l’absence (ou presque) de touche reconnaissable du style personnel de Tsukamoto dans la réalisation. On ne retrouve pas les magnifiques mouvements d’appareils qui à eux seuls justifiaient l’emploi du 16mm dans ses autres films, pas plus qu’on ne ressent un véritable travail sur l’image, aussi bien dans la composition des cadres que dans la photographie, on ne peut plus banale. A se demander si c’est bien le réalisateur célébré partout dans le monde pour son intelligence cinématographique dans Tetsuo et Tokyo Fist qui est l’auteur de cette pâle série B et non un quelconque tâcheron habitué du genre.
Si le film est regardable, la déception reste grande car on ne reconnaît pas le travail de Tsukamoto et l’on assiste à un spectacle vulgairement banal ; à se demander si tout auréolé du succès remporté par Tetsuo dans les festivals, ce dernier n’a pas été tenté en 1990 de vendre son âme et sa caméra aux studios. La suite nous prouva heureusement le contraire et Tsukamoto pu rendre compte près de dix ans plus tard (avec Gemini) qu’il pouvait œuvrer dans une production de major sans pour autant se muer en « fonctionnaire de la caméra ».