Arrivisme d'appartement
Ce Kawashima-là n'est pas scénarisé par un Imamura commençant alors à se faire un nom en tant que réalisateur mais par le non moins talentueux SHINDO Kaneto. Cette fois, en lieu et place des geishas habituelles de l'univers du cinéaste on a droit à d'autres figures de la marge, une famille baignant complètement dans l'escroquerie. Si le film traite les personnages sur un ton plutot léger, assez souvent drole, reste que le vitriol est malgré tout de mise: au travers d'un couple où le mari a échoué à percer dans le monde de l'entreprise après la guerre, d'enfants prets à tout pour posséder tout ce que peut proposer la société de consommation de l'époque, d'une veuve qui essaie de trouver comment élever son enfant, on se retrouve face à un type de personnages qui a toujours fasciné Shindo, des etres placés dans des conditions de dénuement telles qu'ils en viennent à se comporter de façon amorale pour survivre. L'exemple de l'amoralité est d'ailleurs donné par le personnage de la veuve, une croqueuse d'hommes intéréssée qui n'hésite pas à essayer de rompre avec l'enfant du couple, un escroc plus jeune qu'elle et très amoureux d'elle, une fois qu'elle a obtenu avec sa complicité un argent sale lui permettant de construire un hotel pour assurer les besoins de sa descendance, jouant cyniquement les fières en disant que si son ex-amant se fait attrapper et qu'elle est aussi accusée elle s'en sortira de toute façon et que cela fera une publicité gratuite pour son établissement dans les médias. Mais venons-en au dispositif narratif du film: il se passe quasiment tout le temps en huis clos dans cet appartement où défilent tout ceux qui essaient de récupérer les gains escroqués par la famille. Les efforts de dissimulation de cette dernière donnent lieu à de grands moments comiques: le plan d'ouverture où l'on voit le vieux couple essayant de vite dissimuler des objets de valeur à l'arrivée d'un escroqué, l'énervement d'un escroqué en discussion qui le fait s'improviser chanteur d'opéra, un autre encore qui rechausse deux chaussures différentes avant de partir, la mère qui escorte un homme jusqu'aux WC...
Et à ce dispositif narratif s'ajoute un filmage en plans très contemplatifs qui posent un regard clinique, amoral sur les personnages mais soulignent les efforts fournis pour tromper les escroqués du film: il n'est pas rare qu'un objet soit au premier plan du cadre, que certains plans -plans au sol par exemple- se subsituent aux regards de personnages planqués ailleurs dans la pièce durant la réception des escroqués, que les scènes du film soient montrées au travers d'un orifice. En plus de créer de la profondeur de champ tous ces éléments soulignent un univers où tout le monde est épié et où avancer masqué est une règle de survie indispensable. Au détour d'un plan Kawashima arrive à saisir des détails hautement révélateurs sur les personnages du film et la société japonaise de son temps: le croisement de plans sur les biens que possèdent le couple tandis que la veuve commente leur vie au-dessus de leurs moyens ou encore le plan où le frère et la soeur se mettent à imiter les jeunes qui dansent au son de rythmes occidentaux vus à ce moment-là à la télévision -la caméra ne cherche pas à suivre leur danse, elle fait entre autres un gros plans sur leurs fesses près du téléviseur pour souligner que les deux personnages ne font qu'imiter ce qu'ils voient dans une télévision propageant une vision de la société de consommation importée d'Occident ou se détourne d'eux pour aller vers leurs parents faisant comme si de rien n'était pour marquer le fossé générationnel-. A cela s'ajoutent en outre quelques dialogues commentant le jeunisme de la société de l'époque ou notant le passage d'avions américains dans le ciel. Quand Kawashima dévie de son dispositif, c'est pour quelques beaux plans dans un escalier blanc, dans un lieu semblant déréalisé par rapport aux appartements misérables montrés dans le film, cet escalier devient le seul lieu où l'on entend en voix off ce que les personnages pensent vraiment, un révélateur de cet univers de faux semblants.
Au final, si le film manque par moments de rythme -au débuit notamment- et si son final semble un peu trop expédié -certes c'est elliptique mais un peu trop à mon gout...-, il n'a pas à rougir de la comparaison avec les films d'une Nouvelle Vague japonaise alors débutante par son observation d'un certain arrivisme dans le Japon d'après-guerre.