Le temps d'un court métrage, le ton des Animatrix change et permet au spectateur d'avoir une autre alternative que le choix entre le camp de la secte Morpheus et celui des agents récurants Smith. Sous couvert de n'être qu'une fable simpliste, ce Beyond rend paradoxalement ridicules les triturations de cortex qu'on nous inflige et fait même un joli pied de nez à la conclusion prétentieuse de "Révolutions" qui justifiait finalement des actions et réflexions globales pour arriver à une paix relative, l'individu n'étant dans tous les cas qu'un pion. L'intelligence d'un baratin permet de noyer un poisson qui, parce qu'il ne comprend pas ce pourquoi on l'inonde, se laisse faire sans se dire une seule seconde qu'on se fout simplement joyeusement de sa g... pour les raisons bêtement humaines habituelles: le cul, la thune, the power (agathe zepouer!!), etc.
Donc si Matrix is the disease, Beyond is the cure. Ce qu'il fallait démontrer.
Un des sketches commencé le plus tôt et livré dans les derniers. Morimoto Koji n’est pas réputé pour sa célérité en tant qu’animateur, mais sa maîtrise des techniques par ordinateur et de l’animation sur cellulo en ont fait un des pionniers de l’animation numériquement assistée au Japon.
Le meilleur segment tout simplement. Mais vraiment simplement. Car tout est simplicité, ou apparaît comme tel, dans Beyond. Pas d’innovations formelles intempestives, pas d’action survoltée, pas de photo-réalisme en synthèse, absence de scénario philosophico-post-humaniste new age... Rien, si ce n’est la filiation à l’univers de la Matrice. Tout est donc assurément simple dans Beyond. Tout y est aussi éminemment sophistiqué. La technique bien entendue, qui sublime les défauts récurrents de l’animation digitale par une harmonie des textures et de l’intégration d’éléments 2D/3D allant bien au-delà du reste d’Animatrix. Ici rien ou presque ne choque l’œil, tout semble si naturel, si fluide... Et pourtant chaque plan est un festival de techniques qui trouve son unité dans l’esthétique du style Morimoto, dans la recherche d’un réalisme confinant à de l’hyperréalisme tant le souci du détail (chara-design, éclairages, textures des matières, précision des décors, fluidité de l’animation, mouvement de caméra suggérant les prises de vues live...) est manifeste, si manifeste qu’il finit par s’effacer derrière le tableau d’ensemble, celui d’une ville ressemblant à Tokyo et ses banlieues résidentielles plus vraies que nature.
Car le mérite de Morimoto, tout comme celui de Kawajiri et Watanabe dans une moindre mesure, est d’avoir investi la Matrice avec ses propres thématiques et « obsessions » graphiques, distillés surtout dans ses différents clips animés réalisés ces dernières années: la ville qui semble le fasciner (Morimoto est un « provincial » à la base, comme son copain Otomo), le désoeuvrement d’une certaine jeunesse, l’émerveillement comme porte de sortie... On retrouve donc ce « schéma » caractéristique dans le développement de l’histoire de Beyond, instaurant une atmosphère quasi « dominicale » (dans le sens laïque de grasse mâtinée et beau temps au levé) là où le reste de Animatrix joue plutôt sur des ambiances « angoisseuses », dans la continuité des films.
Et là, mine de rien, on se retrouve avec le court au fondement philosophique le plus contradictoire qui puisse être en relation à la nature « morale » de la Matrice, tel qu’induite par les deux films : le virtuel n’est plus un outil d’aliénation sui generis, mais une frontière à la limite des possibles dont il ne tient qu’à nous d’en déterminer l’utilisation. Beyond va donc, effectivement, bien au-delà de la voie thématique duale dégagée par la saga des frères Wachowski, à tel point qu’il a été demandé à Morimoto de maintenir ses protagonistes dans l’ignorance de la réelle nature de la Matrice. Bien entendu pour des questions de cohérence avec l’intrigue principale, mais on peut aussi voir dans cette « condition », en filigrane, une exclusion naturelle de deux approches « culturelles » opposées. Il est bon à ce propos de rappeler, sans mettre un signe égal entre les préoccupations et intentions thématiques de Morimoto et Oshii, ce qu’en disait ce dernier (cité dans le Mad Movies hors-série consacré à Avalon) pour qui «...la plupart des films sur les mondes artificiels me font marrer. Ils sont tous enrobés dans une jolie morale judéo-chrétienne qui détient toutes les vertus sauf celle d’engager le débat et de mener une réflexion honnête, libérée des préjugés réactionnaires clamant sans autre forme de procès que la virtualité c’est le mal ».
Dans Beyond les protagonistes n’ont aucune prédisposition à se « rebeller » contre la Matrice et c’est bien par hasard qu’ils seront confrontés à un bug dont ils ignorent la nature. Pour eux il s’agit donc de l’irruption du merveilleux dans un quotidien balisé dont les autorités (les sauvegardes) vont les priver, les laissant frustrés d’une faille dans le système synonyme de plénitude, à l’image de la superbe séquence où la jeune fille regarde une colombe passer devant ses yeux comme en état de suspension. Moment de dilatation temporelle transfigurant ses traits dans un assaut d’émotion qu’on devine, par le truchement d’une animation « à tomber par terre », génératrice d’un bien être insoupçonné. Cette posture amène le segment de Morimoto à s’insérer dans une mouvance s’apparentant à un réalisme merveilleux d’autant plus éloigné de l’esprit de la Matrice version Hollywood, qu’elle ne véhicule pas l’expression d’un rapport d’aliénation à la technologie, d’où le ton que d’aucuns trouveront sans doute plus léger.