L'enfer au Paradis
"Country Hotel" est le second long-métrage de Pestonji après son précédent "Dear Dolly" de 1951 (il n'avait officié qu'en tant que chef-op sur "Santi-Weena" et "Forever Yours" souvent à tort associé à son nom). A l'époque, il est encore entièrement dévoué au cinéma et extrêmement confiant en sa propre carrière, notamment après le succès international de "Santi-Weena". Il a une conception toute personnelle du cinéma, pensant le cinéma comme véritable Art, plutôt que comme un simple divertissement populaire. Il décide ainsi de tourner des films en 35 mm, alors que le 16 mm est le format standard de l'époque pour des raisons de réduction de coût (et le restera jusqu'au début des années 1970s d'ailleurs) pour une meilleure image, mais surtout pour lui permettre de prendre du son en direct, alors que les films sont généralement tournés en version muette et seront directement "doublés" par des "acteurs" en salles ou cabines lors des projections extérieures, vedettes à part entière, qui vont commenter, doubler, assurer les bruitages et souvent réinventer l'histoire à leur propre compte (Pen-ek rend un magnifique hommage à ces doubleurs encore aujourd'hui en activité dans certaines provinces du pays dans son "Mon-rak Transistor"). Enfin, alors que la couleur est généralement répandue en ces années 1950, malgré des fortes contraintes budgétaires,
Pestonji va décider de tourner en N & B, plus "esthétique" selon lui – il va donc à l'encontre de tous les poncifs, également dans le traitement de son histoire (très noire et empruntant pour la première fois de l'Histoire du Ciné Thaïe des éléments du "film noir" avant son futur "Black Silk") et de ses personnages…et qui va irrémédiablement rebuter les spectateurs de l'époque. Pourtant, "Country Hotel" se pose aujourd'hui en véritable Classique du cinéma thaï, qui a directement influencé les plus connus des réalisateurs thaïs d'aujourd'hui, Wisit Sasanatieng ("Les larmes du tigre noir") et Pen-ek Ratanaruang (qui reprendra une séquence entière de "Forever Yours" dans son "Monrak Transistor").
Ce n'est pas un film parfait, loin de là, la faute à certaines longueurs, un jeu parfois approximatif des comédiens (mais qui n'étaient pas du tout formés à l'époque et dont on exigeait un jeu souvent "outrancier" dans des divertissements plus largement populaires), une mise en scène pas toujours réussie, un scénario un brin bancal et des nombreux accents "populistes" pour quand même séduire un certain public (une première heure franchement vaudevillesque avec des nombreux numéros de musique destinés aux foules; un happy-end un peu toc par rapport à ce qui avait précédé)…en même temps, le film résiste bien aux affres du temps, est forcément en avance sur son temps – et ce même par rapport à des nombreux autres pays, notamment par la séquence de la "roulette russe" préfigurant un "Voyage au bout de l'enfer d'une bonne vingtaine d'années et – encore une fois – est absolument UNIQUE par rapport à l'Histoire du cinéma thaï dans son ensemble.
Pestonji rend hommage à l'un de ses mentors, Hitchcock (des mains duquel il s'était fait remettre une récompense à l'Amateur Cine Competition à Glasgow en 1937) et plus particulièrement à "La Corde" de 1948 en choisissant de tourner avec une seule camera dans un décor unique – le hall / le bar du "Country Hotel". Une décision, qui fait parfois paraître le film comme une simple pièce de théâtre, mais permet également au réalisateur de développer un sentiment de claustrophobie dans sa seconde partie plus oppressante et donne un délicieux parfum de "décalage" en inventant une sorte de "western moderne" dans ce décor de véritable saloon. Impossible d'ailleurs de ne pas penser non plus au "Peace Hotel" de Wai Ka-Fai.
Un autre petit détail fort amusant, qui pourrait caractériser le cinéma de Pestonji comme étant celui d'un vrai "auteur", en créant notamment son propre "univers", c'est l'apparition assez drôle du drôle de couple "enchaîné" et formé par Yupadee et Sangmong, les amants maudits du précédent "Forever Yours", qu'il avait produit; en même temps, on se situerait dans un "univers parallèle", où les deux jeunes tourtereaux seraient toujours ensemble…pour le meilleur et pour le pire…Et "Country Hotel" ne raconte finalement rien d'autre qu'une autre histoire d'amour étrangement aliénée – jusque dans son dénouement aux forts accents sociaux.
Les personnages sont tous spectaculaires – depuis le passage en revue de musiciens parmi les plus barrés (gentille moquerie vis-à-vis de l'incroyable engouement des thaïlandais pour de la musique étrangère à l'époque dans un pays fortement ancré dans son propre folklore pouvant apparaître comme bien étrange aux yeux des étrangers) jusqu'au serveur champion du monde de "bras de fer" jusqu'aux deux énigmatiques personnages – dont la troublante Riam clamant à qui veut l'entendre, qu'elle a 60 ans et qu'elle est la mère de douze enfants. Les deux méchants faisant interruption dans l'hôtel sont désopilants au départ, parfaites caricatures des méchants généralement dépeints dans le cinéma thaï de l'époque (fine moustache et ricanement machiavélique compris), mais qui prennent une tournure assez inquiétante dans la seconde partie jusqu'à déboucher sur le fameux jeu de "la roulette russe".
Une très belle scène, pleine de tension et assez incroyable qu'elle ait pu passer le barrage de la triple censure (Roi – dictature militaire – occupant étranger) sévissant à l'époque.
Un autre grand Classique dans la très courte carrière (5 films) de son réalisateur décidemment mythique à juste titre.