Mi-fiction mi-documentaire, un beau portrait du Cambodge d’après-guerre
Le cinéma n’a pas qu’un rôle divertissant. Très souvent, il remplit également le rôle de reportage, remplaçant les journalistes qui ne se déplacent pas là où il faut. Les Gens de la Rizière remplit parfaitement cette mission en répondant à cette question cruciale : qu’en est-il du Cambodge rural après 20 ans de Guerre Civile ? Autant dire que ce film est loin d’être joyeux et amusant… On y voit des paysans crevant de fatigue dans leurs rizières, abandonnés de tous, travaillant comme des cinglés simplement pour tenter de survivre. Les familles nombreuses n’arrangent rien.
Si l’aspect documentaire un peu sec de ce film peut rebuter, il n’est pas possible de lui contester ce regard juste et nécessaire sur une situation économique et humaine désastreuse, ainsi que ses qualités de mise en scène et surtout d’interprétation, pourtant assumée par des amateurs.
Chronique poignante et universelle
Les gens de la rizière est un superbe exemple de chronique rurale réussie, poignante et universelle, alors qu’elle traite pourtant de choses minimalistes. A la limite, c’est un documentaire sur la culture du riz qui rythme la vie de cette famille. Sans le riz, ils ne sont rien, et c’est la meilleure définition qu’on puisse donner des paysans de ce pays. Le film touche parce qu’il est bien joué et que l’histoire élève cette tragédie à l’échelle de tout le pays. Cette famille de femmes, avec un homme diminué, c’est le lot de tout le Cambodge, pays qui a envoyé toutes ses forces vives dans la guerre. Le rêve/délire prémonitoire du père est une magnifique métaphore de l’invasion des américains au Napalm, discrète façon de nous rappeler que la guerre du Vietnam a aussi traumatisé les Cambodgiens. Enfin cette mère qui devient folle, c’est à l’image de ce pays qui, dans les années 70, a versé dans les délires les plus inimaginables.
Rithy Panh
n’en rajoute jamais dans le pathos, préférant rester à hauteur de rizière, au rythme des saisons, comme s’il symbolisait le pays qui regarde ses enfants survivre. Car il ne s’agit ici que de ça, même pas de vie. Le film peut paraître triste, mais la rage de s’en sortir de cette famille donne du courage. Cette première œuvre est, du coup, beaucoup plus touchante et équilibrée que le très plombé Un soir après la guerre, film suivant de Rithy Panh qui se morfond un peu sans laisser respirer ni les acteurs ni le spectateur. Mention spéciale, enfin, à la très belle musique du film, tant dans les chants locaux que dans sa partie symphonique, composée par un certain Marc Marder. On aimerait bien entendre ses mélodies dans d’autres films que ceux de Rithy Panh.
Pour une poignée de grains de riz de plus
Adapté d'un célèbre roman malais, le réalisateur réalise un premier long métrage poignant, semblable aux meilleurs mélodrames japonais des années '40s / '50s.
Décrivant de manière très réaliste la difficile condition de récolter quelques graines de riz pour subvenir aux besoins d'une famille nombreuse de manière très documentariste, le drame est d'autant plus réaliste dans son approche. Si la folie de la mère pourrait sembler quelque peu exagérée, il ne faut jamais oublier, que la culture des rizières était (est toujours) effectivement la seule raison de vivre des "rice people".
Effleurant au passage le traumatisme de l'invasion des khmers rouges, le réalisateur aborde un thème lui tenant très à cœur et qu'il n'aura de cesse d'explorer dans ses oeuvres futures.
Un magnifique film hantant étant d'ores et déjà un classique dans son genre.