Astec | 4.25 | A la recherche du temps perdu... |
Ordell Robbie | 3.75 | Des qualités mais un ensemble trop inégal. |
Réalisé après Les ailes d’Honnéamise qui n’avait pas rencontré un succès publique à la hauteur de ses critiques, Gunbuster se révèlera comme la première réussite commerciale du studio Gainax qui confirmera par la suite avec la série télévisée Nadia, le secret de l’eau Bleue. Même si l’animation de Gunbuster souffre de la comparaison d’avec les standards d’aujourd’hui, sa réalisation reste toujours de bonne facture (et inventive, voir l’épisode relatant la bataille finale avec les extra-terrestres, entièrement en noir et blanc) et la qualité du chara-design, ainsi que du mécha-design, ne s’est pas démentie au cours du temps. Conçu pour le marché de la vidéo exclusivement et sous ses airs de produit à première vue destiné avant tout aux animefans, notamment en raison des nombreuses références à la « culture otaku », Gunbuster n’en délaisse pas moins les exigences d’un scénario intelligent dont la puissance dramatique réside dans son utilisation éclairée d’une thématique vieille comme l’humanité : le temps.
Il ne faut donc pas se laisser abuser par les premières images qui donnent plutôt l’impression d’être face à un produit commercialement calibré pour jeunes ados pubères. Ainsi l’héroïne et ses camarades de l’école militaire de pilotage se voient-elles affublées d’un maillot de bain une pièce plutôt sexy en guise d’uniforme, alors que leurs attributs mammaires manifestent d’un soin particulier apporté à leur animation. Ensuite, la présence de méchas (les RX-Trainers), dont le design n’est pas sans faire penser au style Gundam, achève de mettre en place tous les éléments constitutifs, à l’époque, des séries animées de SF comme Macross et autres. Côté scénario, on semble aussi suivre la même voie et les poncifs s’accumulent : école de jeunes filles comme cadre de l’action, héroïne en manque d’assurance mais dotée d’une force de caractère insoupçonnée, présence de figures incontournables comme la « rivale » (Jung Freud) et la « grande sœur » (Kazumi Amano), menace d’un ennemi (les aliens) garant d’une dimension initiatique tout comme de la dose syndicale d’action... Mais déjà se manifeste, dans ce jeu de références parfaitement assumé, le regard nostalgique et humoristique qui fait une des particularités des productions estampillées Gainax. Aussi les nombreux clin d’œil à l’adresse des mordus d’animation se multiplient-ils au fil des épisodes, au gré des goûts de l’équipe de création dont certains des membres (Hideaki Anno,Toshio Okada) proviennent du milieu otaku. Il y a les divers renvois à Gundam, le design à la Go Nagaï du Gunbuster (ainsi que les attaques scandées), les posters de Noriko (Nausicaä, Totoro...), tout un ensemble d’inspirations tantôt parodiques (les robots font des pompes !), tantôt respectueuses mais jamais maladroites. Si le profane passera probablement totalement à côté de cette dimension hautement référentielle, le passionné (otaku ?), forcément fétichiste, y trouvera naturellement son compte sans que cela ne nuise toutefois à la fluidité de l’intrigue et à la cohérence de l’univers.
Toute l’habileté de la mise en scène est d’avoir su créer, à partir d’un cadre aussi codifié, une histoire bien loin des stéréotypes car ne se contentant pas d’utiliser la SF comme simple décor exotique. A la façon des meilleurs romans du genre, Gunbuster développe ses enjeux dramatiques sur la base d’un postulat scientifiquement valable (la théorie de la relativité d’Enstein) et d’une spéculation (Que se passerait-il si on voyageait à une vitesse proche de celle de la lumière ?) riche en possibilités scénaristiques mais, surtout, forte d’un grand pouvoir d’évocation. Car si la fantaisie reste présente tout au long de cet OAV, notamment à travers la quantité d’emprunts et d’hommages à quelques classiques de l’animation japonaise, elle s’efface au profit du traitement « réaliste » des déplacements spatiaux. Dans l’univers de Gunbuster les voyages à travers l’espace se font à des vitesses quasi-luminiques (300 000 km/s), la technologie à l’origine du mode de propulsion employé par la flotte terrestre permettant de ce fait de flirter avec les conditions aux limites de la physique relativiste, dont certains développements postulent « que le temps ne s’écoule pas de la même manière, selon que l’on reste au repos ou que l’on se déplace avec des vitesses proches de celle de la lumière ». Noriko et Kazumi en feront l’amère expérience au cours de leur tentative d’arraisonnement du vaisseau spatial Luxion qui ne dure, dans leur temps de référence, qu’une heure alors qu’à leur retour 6 mois se sont écoulés pour ceux restés en arrière ! Dès lors c’est toute la narration qui se retrouve vertébrée par cette implacable et paradoxale flèche du temps, à la cadence de sorties dans l’espace toujours plus répétées, toujours plus longues, qu’effectuent les protagonistes au premier rang duquel se trouve une Noriko doublement orpheline d’un père qu’elle n’a fait que croiser et d’un monde (une époque) qui ne cesse de s’éloigner... à la vitesse (grand) V, serait-on tenté de dire. Non content d’intensifier le suspense de chaque scène d’action, toute décision étant immédiatement définitive (il faut voir Noriko fixer désespérément son chrono en cours de mission), le décalage temporel croissant des personnages principaux exacerbe également le tragique de leurs trajectoires solitaires respectives, synonymes de sacrifice de toute vie normale.
Les doutes et questionnements qui font le monde intérieur de Noriko trouvent en conséquence un écho vertigineux, à l’échelle cosmique, dans sa réalité « extérieure ». Partie sur les traces d’un père, capitaine de vaisseau lui aussi, qui n’est plus qu’un souvenir, elle prendra non seulement conscience du déchirement permanent vécu par ce dernier lorsqu’elle était enfant, mais fera également l’expérience « du temps perdu » en laissant derrière elle les quelques amies glanées à l’école militaire. A cet égard la scène des retrouvailles entre une Noriko (revenue en permission sur une Terre en proie à la panique face à la menace alien) à peine vieillie de quelques mois et son ancienne camarade de promotion, une Kimiko agée de 27 ans et maman, est un moment éminemment nostalgique comme seule la SF sait, encore, en proposer et qui présage du final poignant du dernier épisode. En effet et contrairement à ce que pourrait laisser croire une vision superficielle de Gunbuster, ce ne sont pas tant les aliens et le danger qu’ils représentent qui font le nerf du scénario (bien que l’issue du conflit comporte sa dose de suspense) que la fuite en avant de personnages prisonniers d’une logique qui les dépasse (la guerre) dans un monde ou chaque choix, chaque bifurcation, acquière un caractère irrémédiablement irréversible... comme dans la vraie vie quoi... Au-delà de l’aspect fantaisiste de l’aventure, malgré la tonne de renvois à des séries animées de renom qui s’inscrivent le plus souvent en parfaite opposition à la rigueur de la vulgarisation scientifique, la mise en scène a su trouver le juste tempo pour s’attacher avant tout à nous décrire le parcours intérieur de personnages parties, littéralement, à la dérive du monde réel, réduits à vivre au rythme de leurs manques et frustrations (famille, amitié, amour) avec comme seule consolation le goût laissé par les cendres du temps. Car si Noriko et Kazumi, après avoir frôlé le suicide, retrouvent en définitive le chemin de la Terre, et donc celui de la réalité, c’est en acceptant de faire le deuil de tout ce qui aurait pu mais n’a pas été...
En raison de l’aspect des aliens et de la nature du conflit on a parfois rétrospectivement, et à tort, comparé Gunbuster à Sarship Trooper. Mais si l’animé de Gainax entretient des relations avec la SF littéraire c’est plutôt du côté de Joe Haldeman et de son fameux roman (antérieur à Gunbuster) La guerre Eternelle qu’il faut les rechercher : dans son livre Haldeman nous relate la vie de soldats engagés dans un conflit galactique que les voyages successifs dans l’espace, à des vitesses relativistes, condamnent à la solitude temporelle. Mais ici s’arrête cette (flatteuse et justifiée) comparaison car Gainax, avec en tête un Hideaki Anno armé de son discours sur l’otakisme et la jeunesse japonaise, a élaboré cet OAV comme un « piège » à otakus. En intégrant dans leur mise en forme, aussi bien par goût que par duplicité, tout l’abécédaire du parfait animefan, les auteurs se sont assurés du meilleur moyen de « ferrer » leur principal sujet de réflexion : l’adolescent monomaniaque en manque de communication dont Noriko est un reflet fantasmé.