Divorce à l’indienne
« Et si on rencontrait l’amour, le véritable amour, une fois marié(e) ? ». Cette question hante Maya quelques heures avant son mariage avec Rishi. Mais lorsqu’elle croise Dev, un inconnu, et converse avec lui quelques minutes, ce dernier la convainc qu’elle a déjà trouvé en Rishi, son ami d’enfance, son véritable amour, même s’il y a un risque que l’amitié qu’elle lui porte ait complètement effacé son amour pour lui. C’est sur ce terrible doute que débute le 3ème film de Karan Johar, réalisateur-producteur à succès de Kuch Kuch Hota Hai (KKHH) et La Famille indienne (K3G), 2 des films indiens les plus marquants des 10 dernières années. Alors autant évacuer la question tout de suite : non, Kabhi Alvida Naa Kehna (KANK pour faire plus court), qui signifie littéralement « Ne dis jamais au revoir », n’est pas aussi réussi que ses 2 précédents films, du fait notamment d’une troisième heure un peu répétitive, larmoyante et longuette, et d’une relative déception niveau chansons et chorégraphies, l’accent étant mis sur l’intrigue plutôt que les morceaux de bravoure musicaux. Pour faire court, KANK n’a ni la spontanéité et la fraîcheur de KKHH, ni le lyrisme et l’ampleur de K3G.
Cela étant dit, on reste quand même en présence d’un très bon film qui possède un certain nombre d’arguments tout à fait valables :
• Tout d’abord, un casting très très haut de gamme avec les incontournables Amitabh Bachchan et Shahrukh Kahn, rejoint par Abhishek Bachchan, le fils du premier, qui commence à avoir une stature intéressante dans le paysage Bollywoodien. Côté filles, il y a évidemment Rani Mukherjee, mais aussi Prety Zinta et dans une moindre mesure Kiron Kher en maman attentionnée. N’oublions pas les guest star que sont Kajol, John Abraham et Arjun Rampal, ce qui fait vraiment du beau monde.
• La première heure est de haute volée comique : après une ouverture délirante dans un stade de foot ressemblant à un Olive et Tom, Amitabh s’avère absolument hilarant en vieux veuf qui collectionne les call girls de luxe au grand dam de son fils qui ne sait plus quoi dire. Le déroulement du scénario permet également quelques situations de quiproquo vraiment très réussies, comme cette scène de suspicion où, chacun de leur côté, Dev et Maya pensent que l’amant de leur conjoint est caché dans la maison et crient au scandale. A noter également des clins d’œil réservés aux fans de Bollywood, qui reconnaîtront des allusions à certains classiques récents (Jadoo ?). On rit donc souvent, jusqu’au tournant du film, à savoir le 1er intermède musical (au bout de 50 minutes !) et le discours émouvant d’Amitabh en l’honneur de sa défunte femme.
• Le thème choisi est très intéressant puisque tabou en Inde, et a dû faire grincer pas mal de dents. Il s’agit en effet de l’adultère, et de son corollaire, le divorce. Dans tous les films hindi que j’ai pu voir, ce thème, quand il est abordé, se conclut toujours par un rabibochage de dernière minute entre les 2 époux, qui découvrent ou redécouvrent l’amour qui les animaient – ou qui aurait dû les animer - au premier jour ( Barsaat, Hum Dil De Chuke Sanam, Chalte Chalte,…), célébrant ainsi les vertus du sacro-saint mariage. Mais ici, les données semblent être différentes : on est à New York dans une communauté indienne tiraillée entre traditions et modernité, les 2 couples sont vraiment au fond du trou, et rien ne semble entraver le destin qui a fait tomber amoureux Dev et Maya. Tout l’enjeu, tout le suspens qu’entretient Johar est donc de savoir si ces 2 amants interdits iront au bout de leur logique qui consisterait à divorcer et à recommencer leur vie ensemble, quitte à briser 2 cœurs et à faire d’Arjun, le fils de Dev, un enfant sans père… Johar prend son temps pour décrire des personnages empêtrés dans les hésitations, leurs espoirs et leurs contradictions, mais réussit finalement à les rendre attachants, touchants, proches de tout un chacun.
• Les plages musicales, quant à elles, ne payent pas de mine au premier abord, du moins pas autant que d’autres films, mais lorsqu’on les réécoute, parviennent néanmoins à séduire, notamment « Tumhi Dekho Na » et bien sûr la chanson-titre. Ce n’est cependant pas dans ce film que Farah Khan a pris le plus son pied pour les chorégraphies…
KANK a donc de solides arguments à faire valoir, largement supérieures aux quelques réserves que l’on peut émettre. C’est un film mature, un film qui s’adresse à des adultes, un film qui montre aussi que lorsqu’on vit dans un pays étranger (et libre qui plus est), on peut plus facilement dépasser des réticences liées à ses traditions pour mieux se fondre dans le paysage et être en harmonie avec son cœur.