Xavier Chanoine | 4.25 | Beaux combats |
Junta | 2.5 | Run Granny, run... |
Ghost Dog | 3.75 | Crime - pauvreté - injustice : le cercle infernal |
Brillante Mendoza est entré depuis trois petites années dans la catégorie des cinéastes asiatiques à suivre. En tant que bel ambassadeur de la vitalité du cinéma philippin à travers le monde, Brillante Mendoza a su imposer sa marque unique dans le cinéma d’Extrême-Orient à coup d’œuvres aussi fortes (Tirador, 2007) que sensibles (John John, 2007) tout en ayant obtenu un abonnement aux festivals du monde entier, lui promettant, on l’espère, quelques avantages dodus pour tourner encore et toujours. Tournant à un rythme effréné, il n’est plus étonnant de découvrir ses dernières réalisations par surprise, un peu comme ce Lola débarquant à peine quelques mois après le noir Kinatay, hélas encore vendu aujourd’hui comme une œuvre d’extrême violence, terme ô combien réducteur, comme si le film n’existait que pour sa séquence de torture.
Avec Lola, Brillante Mendoza garde pratiquement la même équipe qui sévit sur Kinatay, en offrant un regard d’une belle sensibilité sur les habitants d’un quartier pauvre de Manille, situé aux abords d’une étendue d’eau, et dont le commerce paraît bien flou. On y vend des légumes à la sauvette, on pêche son poisson, on survit tant bien que mal. Cette notion de flou est toute de même questionnable dans la mesure où, comme avec Tirador, Brillante Mendoza offre un regard féroce sur le pouvoir de l’argent, sur sa circulation et son utilisation : une grand-mère (c’est comme cela qu’elles sont le plus souvent appelées tout au long du film) est prête à amasser le plus d’argent possible en revendant les mets gracieusement offerts par sa sœur, utilise l’excuse de son âge avancé pour voler un client venu acheter ses légumes, met en gage un poste de télé, seule distraction de son petit fils : une impression de grappillage de pesos affichant clairement la grande pauvreté de Manille, ce sentiment de survie permanent qui rythme la vie des habitants. Cependant, Brillante Mendoza ne s’attarde pas uniquement sur ce fait, lui qui avait déjà filmé Manille comme une Terre de tous les dangers dans son Tirador en forme de tour de force visuel servant un discours social. Il utilise la fiction –qui aurait très bien pu être une réalité par son absence d’artifices- pour peindre avec magie l’énergie affolante de Manille, tout en exposant les difficultés que rencontrent les personnes du troisième âge, l'une des motivations de la mise en chantier de Lola suite au visionnage d'un documentaire sur ce thème il y a quelques petites années.
Une énergie jamais affectée par l’âge avancé des deux grand-mères (que l’on suit au travers de leurs périples) car la mise en scène de Brillante Mendoza est admirable. On y discerne certes les signes du temps, ces douleurs dues à l’arthrite et à la fatigue des déplacements qu’un Manille n’arrive jamais à soulager (pas d’ascenseurs dans les établissements sociaux, déplacements en barques ou en bus bondés…), mais une grande sensibilité se dégage du portrait souvent empathique de ces deux vielles dames, qui se retrouvent embarquées dans des galères pas possibles : le petits-fils de l’une a été assassiné, de manière plus ou moins accidentelle, par le petit-fils de l’autre. La grand-mère du présumé coupable aimerait alors racheter la bonté de l’autre, étant dans l’incapacité de s’offrir les services d’un avocat. L’originalité de Lola est donc de situer son point de vue des deux côtés, offrant alors au spectateur deux regards bien distincts sur la situation d’ensemble alarmante. Et si la grand-mère du défunt (Anita Linda, 87 ans et plus de 200 films au compteur) se bat pour offrir à son petit fils des obsèques à la hauteur, l’autre fait preuve d’une ténacité presque dérangeante, prête à user de stratagèmes peu scrupuleux pour rassembler l’argent dans l’optique d’un accord à l’amiable
Il y a donc quelque chose de passionnant dans l’œuvre de Mendoza. La beauté des contraires, le côté alerte d’un quartier sens dessus dessous, la grâce désarmante de ces séquences purement contemplatives, figurant parmi les plus belles jamais vues chez le cinéaste, toutes sans exception accompagnées par la superbe musique de Teresa Barrozo et la non moins superbe direction sonore d’Albert M. Idioma, donnant au film cette dimension d’immersion totale. Et si Brillante Mendoza semble si proche des personnages qu’il filme, c’est parce qu’il les comprend mieux que quiconque. Aux oubliettes le jugement et la morale à trois sous, le film n’a pas réellement d’introduction ni même de conclusion, il est un épisode parmi des milliers, un prétexte d’une affaire de meurtre pour s’accaparer Manille et en faire un portrait d’une grande puissance émotionnelle avec trois fois rien, où l’on retrouverait un peu du récent cinéma d’Ann Hui. Plus encore que Kinatay, le cinéaste revient à ses premiers amours : capter l’essence d’un quotidien de personnes par des plan-séquences comme transcendés par le dynamisme du pays, de ses habitants. Une nouvelle preuve de la grande vitalité du cinéaste.