Les souvenirs laissés par Nightmare Detective sont ce qu’ils sont : un thriller paranormal portant la marque d’un cinéaste punk encore loin d’avoir jeté l’éponge. D’autant plus qu’il continue de tourner régulièrement, allant même jusqu’à remaker son premier vrai long-métrage (Tetsuo : the Iron Man) avec un casting en partie composé d’acteurs américains. Présenté en compétition à Venise, le film n’a pas semblé convaincre la presse internationale, il faut dire que le cas Tsukamoto est encore loin d’être résolu à une époque où le cinéaste jouit pourtant d’une certaine renommée, surtout auprès des spécialistes. Et ce Nightmare Detective 2 n’est pas prêt de livrer toutes les clés de son univers, c’est d’ailleurs une chance, puisqu’en plus d’être une belle plongée dans l’esprit torturé du cinéaste, le flou total du final empêchera les spectateurs d’avoir une réponse digne de ce nom sur le pourquoi du comment. Et s’il était question d’un troisième opus ? Car en guise de nouvelle franchise plutôt recommandable, la saga des Nightmare Detective n’aurait pas à rougir face aux films cultes du cinéaste, clairement, de par ses ambitions thématiques (l’enfermement, la solitude, l’organique) et formelles. Nightmare Detective 2 n’a pas de réel lien avec le premier. On retrouve toujours Matsuda Ryuhei plus dépressif que jamais dans la peau du « détective » Kagenuma (troquant depuis le début son imper et sa pipe pour une cape en satin noir), empêtré entre ses souvenirs morbides durant son enfance et son rôle actuel de justicier capable de pénétrer dans les rêves.
Cette fois-ci, point d’enquête criminelle, mais le désir d’une lycéenne de mettre fin aux décès de son entourage le plus proche. En effet, la jeune Yukie (Miura Yui) est persuadée qu’une camarade de classe jadis bizutée par elle et ses copines, est responsable de la mort inexpliquée de ces dernières en pénétrant dans leurs rêves pendant leur sommeil. Elle souhaite donc obtenir de l’aide auprès du détective Kagenuma, l’unique personne capable de pénétrer dans son esprit afin d’apaiser le fantôme de l’adolescente et transmettre ses plus plates excuses pour qu’il s’en aille en paix. Malheureusement cela ne sera pas de tout repos puisque Kagenuma est rattrapé par les flashs de son enfance, en particulier lorsqu’il assista, impuissant, au suicide de sa mère. Remplissant plutôt bien son cahier des charges « sur le passé du héros », Nightmare Detective 2 étonne par sa mise en scène hésitant constamment entre situation de pur rêve et réalité, notamment lorsque la caméra privilégie le flottement et le vertige plutôt que le cadrage équilibré. Ce qui peut sembler être un tic s’accorde donc avec l’esprit du film. Aucune sécurité, aucune stabilité, la photographie crasseuse proche de l’univers apocalyptique d’un manga de science fiction se soustrait au profit d’une esthétique léchée, où la lumière surnaturelle côtoie une noirceur pesante. Kagenuma rêvant de son « lui » plus jeune, cloitré dans son futon trempé de pisse, en priant les démons de le laisser tranquille sont autant de séquences fortes que déjà vues ailleurs : les fantômes aux cheveux longs ne font plus peur, mais ceux de Tsukamoto apparaissent dans un vacarme à réveiller un mort. Ce rêve est à l’image des plans les plus terrifiants : une utilisation judicieuse et parfaite des effets spéciaux, parfois sidérants (des visages déchirés, des corps défusionnés, en suspension…), et un filmage si proche des visages qu’il en devient étouffant.
C’est bien simple, on étouffe jusqu’à en crever, sans jamais savoir où l’on est, paumé dans cet immense espace créé de toute pièce par un réalisateur qui démontre ici combien il est possible de mixer les genres les plus improbables : si la musique mécanique de Ishikawa Chu est ici inégale, elle fait preuve d’une composition inédite, affolant les compteurs par sa brutalité alliée aux flutes traditionnelles et autres sonorités quasi Hisashiennes. Du « jamais entendu » qui apporte aussi bien la poésie dont avait besoin pareil film chimérique, qu’un côté Z lorsque le détective –transformé en justicier- s’amuse sur les toits la nuit. Une étrange mixture, plus étonnante qu’elle n’y parait, alliée aux images complexes d’un Tsukamoto directeur de la photo. Mais le paradoxe, qui pourra déplaire à la clientèle trop exigeante, c’est cette superbe mise en place d’un univers personnel exempt de repères, plombée par une interprétation pas fameuse et un rythme poussif. Mais au-delà de sa relative lenteur, Tsukamoto ne lâche pas une seule seconde son spectateur, et arrive encore aujourd’hui, à sidérer par son incroyable agressivité par à-coups. Le découpage a beau être rapide, les effets d’accélération ou de saccades sont ici purement absents : les apparitions de spectres sont d’autant plus impressionnantes, le montage sonore d’autant plus envahissant, et pourtant l'agression est de courte durée. Un choc qui donne toute la saveur à un « simple » film de fantôme, certes perturbé et paranoïaque, mais doté d’une poésie et d’une tristesse –résumée en un plan final stupéfiant- qu’on soupçonnait difficilement chez Tsukamoto. Il nous a bien eu.
L'œuvre la plus schizophrène de Tsukamoto. Un film d'horreur pour adultes, qui consternera la plupart, mais qui est tout simplement énorme. Exit les starlettes du premier et focus sur les seuls tourments intérieurs de ce véritable cinéaste, aussi torturé qu'un Philip K. Dick. N'ai pas encore le droit d'en dire plus sur le film – mais Tsukamoto m'inculque un respect de plus en plus grand à chaque nouveau film !