Femmes de sable
Le moins que l'on puisse dire, c'est que le second passage derrière la caméra après sa participation au film réalisé à huit mains "Kuldesak" est plutôt impressionnant; d'autant plus, lorsque l'on tient compte de la profonde crise du cinéma indonésien de l'époque avec seulement trois films à se tourner en cette année 2001.
Nan Achnas accouche d'une œuvre foncièrement auteurisante, en plein dans sa volonté et de celle de ses 12 autres adeptes du "I-Sinema" à vouloir conjuguer art et commerce…car il n'y aurait pas une once de commercial dans cette incroyable historie des deux femmes recluses au fin fond d'un paysage désertique (celui entourant le volcan le plus célèbre en Indonésie).
On pense évidemment à "La femme du sable" du japonais Teshigahara…et notamment, quand elles vont partir s'installer dans une maison à moitié ensablée…mais le propos est totalement ailleurs, entre histoire terrible du passage de l'adolescence à l'âge adulte d'une fille et métaphore politique. Car Nan Achnas est restée profondément marquée des émeutes anti-chinois lors de l'abolition de la dictature présidentielle en 1998, qui a vu le déclenchement d'une véritable chasse à l'homme des indonésiens envers la communauté chinoise, ravageant et incendiant leurs maisons et causant des nombreux morts (des "traces" de cet acharnement sont toujours visibles, plus de dix ans après, dans le quartier chinois de Jakarta). Nan avait été prise à parti au cours de ces terribles affrontements et avait dû fuir en compagnie de sa famille pour se mettre en sécurité. Elle ressassera ce terrible épisode tout au long de sa filmographie – notamment dans cette incroyable séquence dans le présent "Whispering Sands" du village mis à sac. Les allusions à la situation politique abondent, depuis le désarroi d'une population vivant dans une région aride, opprimée par des instances supérieures, en passant par la figure patriarcale jusqu'au clivage entre jeunes libérées et anciens opprimées.
Mais c'est avant tout au portrait de deux femmes de générations différentes, que Nan s'attache avec l'intrusion terrifiante d'un père si longuement désirée et s'avérant finalement une belle ordure.
Le rythme lent et hypnotique renforce d'autant la progression vers un dénouement oppressant inexorable. Chef-d'œuvre, en dépit de quelques imperfections et symboles un brin trop forcées.
Nan se permettra une pause plus récréative, en enchaînant avec le plus léger, "The Flag", comédie pour enfants réalisée dans le sillon du mega succès de "Sherina's Adventure" de son collègue Riri Riza, mais qui n'en demeurait non pas moins engagé politiquement parlant.