Feu d'artifice
Ce dernier épisode de la saga signé Misumi semble déjà préfigurer les Babycart. La mise en scène plus nerveuse, les quelques gros coups de zooms seventies annoncent ce qui sera le style de la série. L'exagération qui sera la marque des Babycart, on la retrouve aussi dans le côté outrancièrement efféminé d'un jeune homme que Zatoichi veut remettre dans le droit chemin comme dans le côté ultraexpressif du jeu de Nakadai Tatsuya. Dans un humour décliné à foison ici donnant au film le genre de caractère jouissif assumé qu'on trouve dans les Babycart. Ou encore dans la façon dont Zatoichi sabre tout ce qui bouge et s'oppose à lui à la vitesse de la lumière.
Qui plus est, le prise de pouvoir d'un Katsu Shintaro porté par le succès du pari Zatoichi contre Yojimbo au scénario ajoute à la déshéroïsation de Zatoichi en le rapprochant de l'acteur. Lorsqu'on voit Zatoichi se saouler entouré de quelques beautés, on ne peut pas s'empêcher de penser au caractère fêtard d'un Katsu Shintaro flambant dans les clubs de strip tease d'Asakusa. Le rapport de Zatoichi aux femmes ne se limite ainsi plus cette fois aux sentiments tendres teintés d'incompréhension mutuelle observés dans d'autres épisodes de la série. Sans que cette décontraction, ce côté bon vivant empêche que Zatoichi se pose en figure défendant sa propre morale face à des yakuzas sans principes.
A l'image d'un film où dérèglement et maîtrise cohabitent parfaitement dans la forme comme dans le scénario. Zatoichi trouve ici un opposant en forme d'alter ego qui aurait mal tourné: un parrain aveugle détenant une forme aussi efficace qu'occulte de pouvoir. Pas besoin pour ce dernier d'expliquer pourquoi il veut tuer Zatoichi, il lui suffit juste de faire voter sa mort à son assemblée. On se doute évidemment qu'il s'agit pour lui de se débarrasser d'un double inversé. Reste qu'en montrant le monde de yakuzas comme une forme de pouvoir politique le Shogun de l'ombre se retrouve synchrone de tout un pan du cinéma de genre de ces seventies naissantes. On pourrait se plaindre de voir Nakadai Tatsuya réduit à faire de la quasi-figuration tandis qu'un Mori Masayuki excellent est plus présent.
Mais les qualités précédemment mentionnées associées à une superbe photographie signée de l'immense MIYAGAWA Kazuo et un dernier quart d'heure en forme de feu d'artifice de suspense et de combats au sabre maintiennent le Shogun de l'ombre dans le haut du panier du cinéma populaire nippon seventies.
Et Misumi s'en alla par la grande porte...
Prêtons-nous au jeu futile des classements et, des acteurs-sabreurs des années 1960, ne retenons que cinq noms parmi la pléthore de méritants : Raizo Ichikawa, Shintaro Katsu, Toshiro Mifune, Tatsuya Nakadai, Tetsuro Tamba. Tour de force du vingt-et-unième opus de la saga
Zatoichi (titre Wild Side :
le Shogun de l'Ombre) mettre face à face deux de ces géants (Katsu contre Nakadai) et, plus impressionnant encore, réussir là où Okamoto avait échoué avec Mifune dans l'épisode précédent en faisant de cette attraction luxueuse un film délectable. Bien entendu, tout n'est pas parfait ; Misumi se focalise sur les transports bucoliques de Zatoichi et il est regrettable que son opposant n'ait pas plus de scènes pour agencer son personnage de rônin névropathe – semblable au rôle déjà tenu par Nakadai dans
Sword of Doom. Mais au-delà de ce gâchis relatif, l'énergie et la précision de la mise en scène, la splendeur moirée de la nature photographiée par Kazuo Miyagawa et les divers morceaux de bravoure qui parsèment le film – outre le somptueux duel final, la scène où Zatoichi est agressé aux bains par une horde de yakuzas vêtus en tout et pour tout de leur sabre ou encore celle où un clan fait du projet de l'occire un spectacle aussi flamboyant que sanglant – lui confèrent l'altesse et l'éclat des épisodes les plus réussis. Le dernier pour Misumi qui ne pouvait rêver meilleure sortie.
S'il ne devait rester qu'un Zato...
Le shogun de l'ombre est auprès de, Route sanglante et Les tambours de la colère, le meilleur Zatoichi qu'il m'ait été donné de voir, et ce pour de multiples raisons telles que la photographie absolument magnifique (l'embuscade dans les bois, au début du film, est à pleurer tellement que c'est beau !), la gallerie de personnages pittoresques (le couple d'aubergistes qui passent le plus clair de leur temps à se taper dessus, le jeune proxénète efféminé etc...), le (long) climax de furieux qui balance pèle mêle tout ce qu'il peut y avoir de plus bandant dans un chambarra, et surtout 2 bad guys mémorables (dont une fascinante némesis du père Zato).
...Sans oublier des idées de mise en scène typiques du cinéma de Misumi, c'est à dire poétiques et audacieuses (le visage de la défunte bien aimée du ronin apparaissant dans un éclat de lumière, du au choc des sabres, pendant le duel final) ainsi que des séquences mêlant, avec grâce, violence graphique (certains débordements annoncent plus ou moins les Baby cart) et humour "slapstick": la scène de combat dans les bains est à ce titre remarquable.
On reprochera juste le fait que que le personnage (magnifique) du ronin psychopathe interprété par Tetsuya Nakadai soit assez maladroitement rattaché récit...Mais bon, ça n'empêche en aucun cas cet opus d'être un sommet du chambarra.
Tout simplement.